"Les tragédies personnelles s'accumuleront, fomentant la colère, le ressentiment et l'exaspération dans différents groupes sociaux, y compris les chômeurs, les pauvres, les migrants, les prisonniers, les sans abri, tous ceux qui sont laissés pour compte... Comment toute cette pression ne pourrait-elle pas déboucher sur une éruption ? ... Lorsque la pauvreté, le sentiment d'être privé de ses droits et l'impuissance atteignent un certain tournant, une action sociale perturbatrice devient souvent le dernier recours." ("COVID-19 - La Grande Réinitialisation" § 1.3.2.)
Klaus Schwab cite Branco Milanovic (ex-Banque Mondiale), Thomas Piketty ("Le Capital au XXIème siècle") et Joseph Stiglitz, ("La Grande désillusion"), trois économistes de renom, classés "à gauche" par l'opinion publique, qui parviennent tous à la conclusion que l'augmentation du P.I.B. d'un pays correspond à une plus grande concentration du capital entre les mains de quelques privilégiés et à un appauvrissement des classes moyennes.
Il semble que le Professeur Schwab nous place face à une fausse triple alternative: il nous faudrait choisir entre la "Grande Réinitialisation", le populisme nationaliste qui prétend s'y opposer ou ... l'effondrement social.
Evidemment, si l'on suit ce raisonnement, la seule voie praticable, reste celle de la "Grande Réinitialisation" car un accroissement des inégalités aurait pour conséquence des mouvements sociaux dont l'archétype est le mouvement des "gilets jaunes" ou, pire encore, une guerre civile.
Le Professeur Schwab pointe du doigt le fait que l'équité est devenue un enjeu majeur de notre société.
"The extensive spread of internet technology also makes people around the world more aware than ever of the fortunes of people elsewhere. This draws attention to global equity making it an important objective, perhaps for the first time in history" ("Stakeholder Capitalism" p. 177).
("La vaste diffusion de la technologie Internet rend également les personnes plus conscients que jamais de la fortune des gens ailleurs. Cela attire l'attention sur l'équité mondiale, ce qui en fait un objectif important, peut-être pour la première fois dans l'histoire".)
Il nous semble que, en faisant référence à "la fortune des gens ailleurs", ce que Klaus Schwab nomme pudiquement l'"équité" n'est rien de plus qu'une égalité des conditions. Il ne s'agirait pas seulement d'une égalité "de droits" consacrée par les idéaux révolutionnaires de 1789, - et qui a montré, depuis, toutes ses limites, - mais d'une égalité "de fait" qui, seule serait en mesure d'éviter les insurrections et les conflits sociaux qui sont le symptôme récurrent de notre système économique.
Pourquoi? Car, nous dit Klaus Schwab, nous sommes des animaux sociaux, nous nous comparons sans cesse, et "la perception de notre bien-être absolu est moins importante, nous dit-il, - que la perception de notre bien-être relatif.
Selon cette interprétation, le Professeur Schwab ne serait même pas un socio-démocrate, mais un marxiste "pur et dur", ce que nous avons du mal à croire : de fait, la "Grande réinitialisation" que propose Klaus Schwab, n'est pas une "révolution" au sens marxiste du terme, le remplacement d'une classe par une autre classe.
Il s'agirait surtout d'une révolution des consciences, un changement de notre mode de vie, qui nécessiterait un bouleversement de nos valeurs morales.
Il s'agirait d'un "état d'esprit" qui pousserait les humains à s'unir de manière responsable et solidaire pour protéger leur planète, adopter un autre modèle social et réduire leur consommation. Tout cela de manière quasi-consensuelle, sans modifier radicalement les mécanismes de redistribution des richesses et sans troubler les équilibres sociaux et politiques en place. Cette vision a quelque chose d'utopique.